Bienvenue aux petits poucets

Ce blog propose de courts billets en rapport avec l'astrologie des astéroïdes.
Son objectif est de les faire découvrir, ensuite de faire circuler l'information disponible, et de renvoyer vers des liens ou des publications qui en parlent...

Le Gravier Cosmique
fait partie de la constellation de L'OEIL D'HOROS, mon site personnel d'astrologie

mardi 6 mars 2012

Le vertex de Nessos

L'astéroïde Nessus n'a pas bonne réputation. C'est-à-dire qu'il a la même que celle de son personnage mythologique ! En général, les centaures n'ont pas la cote ; et celui qui plait (Chiron) est en réalité une notable exception à la règle qui les veut sauvages, aimant le vin, mal élevés, pour tout dire : infréquentables. Se faire une idée des centaures, fondée sur ce qu'on sait de Chiron, c'est un peu comme si on se faisait une idée de l'humanité, après n'avoir rencontré que Jésus...

A un moment où à un autre en fouillant un peu, vous allez réaliser que Chiron, Héraclès et les centaures sont liés de façon profonde. On a certes dit d'Héraclès qu'il était l'ami de Chiron. Mais pour Nessus, qui aurait tenté de violer Madame Héraclès (Déjanire, que vous voyez enlevée ci-contre), peut-on encore le désigner comme tel ?... En effet, Héraclès n'a pas occupé sa vie qu'à ses célèbres Travaux. Il a eu une vie avant et après.

En astrologie, le "vertex" est un point mathématique qui a une signification de "rencontre fatale" ou au minimum "karmique". Positive ou négative. On pense que c'est Nessus qui a dramatiquement infléchi le destin d'Héraclès car il est responsable de sa mort, et de fait, également de sa divinisation. J'ai voulu écrire de courtes lignes sur la réciproque. Héraclès est aussi une rencontre fatale pour Nessus.
Les récits mythologiques sont sans nuances. Nessus est mauvais, Héraclès est bon. On ne fait pas une bonne histoire avec cela. Pire, j'ai bien peur qu'on fasse aussi de la mauvaise astrologie...

Plutôt que de m'y livrer moi-même, j'ai pensé qu'il serait plus intéressant de supposer que Nessus et Héraclès appartiennent à des univers différents qui se recoupent mal, qu'ils ont peut-être dû batailler pour se comprendre, et qu'en dépit de leurs efforts, quelque chose a vraiment mal tourné dans leur histoire.
Voici le début imaginaire de leur toute première rencontre, racontée par Nessus. On dit que ce sont les vainqueurs qui écrivent l'Histoire, cela laisse deviner l'objectivité de leur point de vue... :-)

***

<< Comment tout cela a-t-il commencé ? Il y a longtemps... 
Même à l'époque, je dois avouer que mon peuple était déjà maudit. Les Delviens nous avaient créés trop sensibles à tout. On nous disait ombrageux et farouches, cherchant refuge dans l'ombre des cavernes où nous aurions caché notre prétendue sauvagerie... En réalité, nous avions l'ouïe fine, la vue perçante et l'odorat développé. Bien trop. Cette vive sensibilité affutée nous permettait de sentir nos veines charrier le sang comme des ruisseaux furieux au rythme du tambour orageux de notre cœur. Tout cela faisait un barouf d'enfer, et nous avions besoin comme d'une hygiène d'apaiser nos fièvres par la lente caresse continue du vent sur nos muscles.  Certains d'entre nous, influencés par le contact des créatures veules et dégénérées que sont les fils de Parhamito, cherchaient à étourdir le ressenti violent que nous avions du monde, en intercalant entre eux et Lui le manteau comateux des jus fermentés. Mais je n'étais pas de ceux-là.  

Le jour où mon destin a basculé, j'étais justement lancé dans la course aubade que les ignorants aiment à railler. C'est le moment idéal. Le soleil n'y est pas trop cuisant et il épargne les yeux.
Tout était parfait. Mes muscles chauffés à point roulaient, mes pieds chaussés de corne ne soulevaient aucune poussière ou à peine, je courais dans une certaine félicité... C'est là que je fus arrêté en plein élan, estomaqué par une puanteur indicible ! J'ai dû me cabrer sous le choc et manquer de tomber. Je tournai vivement la tête de tous côtés pour tenter désespérément d'identifier d'où venait cette odeur immonde et m'en éloigner au plus vite. Mais j'entendis alors un hurlement. Ce n'était pas très loin : peut-être deux kilomètres et demi sur ma droite si j'en croyais la propagation de l'onde.
 

J'hésitai. J'ai souvent repensé à cette petite hésitation bénie. C'était pile le moment où j'aurais dû filer et ne jamais me retourner. Au lieu de ça, un nouveau braillement me vrilla les tympans. Je ne comprenais pas les sons. Je m'approchai prudemment à petite foulées. L'odeur était à vomir. Cette fois c'était sûr, il y avait un putois. Enfin... pas un vrai putois. C'est le nom que nous donnons aux fils parhamitéens, les anderons, lorsque nous sommes entre nous. Leur odeur nous est quasi insupportable...
En me penchant le long de la ravine, je vis qu'il y en avait un petit qui était suspendu là. Enfin un petit... allez savoir... je n'avais jamais vu un poitrail pareil chez un anderon immature. Ce devait être un de leurs jeunes qui s'était égaré loin de la harde. Une espèce de grimace déforma ses traits quand il s'adressa à moi.
 

Alorslabruti?Tuvasmelaisserperchélàoumefileruncoupdemain?  

En fait, je n'ai pas compris ce qu'il a dit. Mais comme tous ceux de mon peuple et tous les créatures vivantes de Gaen, je suis télépathe. J'ai donc saisi l'intention, la tonalité de la voix. Quand je dis "toutes les créatures", il faut bien entendu comprendre : "anderons exceptés". Les anderons, dont on dit qu'ils sont les fils de Parhamito, sont les dernières créatures implantées par les Delviens. Beaucoup d'entre nous sont d'avis que ce sont de pitoyables fins de série. Ils sont faibles, ils n'ont ni griffes, ni crocs, ni queue, ni carapace de protection. Ou comment essayer de faire un vivant avec rien... Ils ne sont même pas télépathes alors que nous tous le sommes ! Beaucoup des vivants ont commencé à douter des Delviens à partir de ce moment là, surtout quand il est devenu évident que ces cadets fragiles et fourbes trouvaient par surcroit le moyen d'être leurs préférés...  

L'anderon interrompit mes réflexions en commençant à baragouiner quelque chose d'audible, mais avec un accent abominable. Sachez que non seulement, ils puent comme ce n'est pas permis, mais en plus, ils ont une voix invraisemblable. On dirait qu'ils ont mangé un oiseau qui leur serait resté dans la gorge. Ils effectuent une quantité de modulations ridicules et un peu précieuses -- probablement inutiles -- pour dire quelque chose de très simple et de très court...
Dans ma langue (enfin presque) il a dit :
"Salut. Araqis parle. Aide-moi à remonter" ou quelque chose comme ça. Alors je me suis approché, frémissant rien qu'à l'idée du temps que j'allais devoir passer en rivière pour essayer de faire passer l'odeur, et je l'ai tiré de sa crevasse. Il a grimacé derechef et a articulé comme un débile la formule rituelle de remerciement. J'ai hoché la tête et puis n'y tenant plus, il a bien fallu que je recule... 

J'ai pivoté et sans plus de cérémonie, j'ai commencé à reprendre ma course interrompue, trop content de m'en tirer à si bon compte. Le vent ondoyait délicieusement sur ma peau, et j'aurais presque commencé à me détendre si je n'avais pas toujours ressenti par alternance les bouffées d'une infection persistante. A dix kilomètres au nord, je sentais un torrent que j'entendais aussi rouler sur des roches fines. Il fallait que je me trempe sans attendre. J'accélérai pour y être au plus vite et puis je sautai dans l'eau où je m'enfonçai avec reconnaissance... pendant moins de deux minutes. Et puis soudain : un grand cri haché cascadant, et un plouf.  "Amoimaintenant !" 

Mes crins se dressèrent tous d'un coup en un mouvement horripilé. Corne de Péan ! Le jeune putois m'avait suivi ! Je n'en revenais pas : d'habitude, ils sont nuls à la course. Dans une attitude typiquement anderonne, il faisait le mariole, tout en empuantissant mon bain, et en poussant des criailleries flutées sur tous les tons... Une idée me frappa pendant que je restais immobile en pleine consternation. Ce poulain avait-il été sevré trop tôt pour qu'il me colle ainsi comme sa mère ? L'erreur était compréhensible. Avec la vue pourrie qu'ont les anderons, il a dû penser qu'on se ressemblait. A ceci près que les pauvres choses n'ont que deux pattes pas bien stables... Il fallait absolument qu'il comprenne son erreur et qu'il retourne auprès des siens. 

J'étais en train d'émettre quand je me suis rappelé qu'il n'allait rien entendre puisqu'il était vide sur la fréquence adéquate. Alors je suis sorti de l'eau et j'ai cherché quelque chose de simple : je l'ai désigné puis j'ai désigné l'horizon. Plusieurs fois. Il y avait un rassemblement de putois à une trentaine de kilomètres dans cette direction, ça sentait d'ici. Il a hoché la tête avec sa bouche tordue et je vous avoue que j'ai crû bêtement un instant qu'il avait compris. Il est sorti de l'eau en mâchonnant un : "D'accord, je viens aussi !". 

J'ai secoué la tête en poussant une longue plainte frustrée. Il a essayé de m'imiter grotesquement. Cela avait l'air de l'amuser. Il émettait de la joie. J'ai soupiré en me demandant combien de temps je pourrais retenir ma respiration d'ici à l'enclos des anderons. Il fallait bien le ramener. J'ai commencé à courir et j'ai vu que je ne pourrais pas le semer. Appartenait-il à une nouvelle race ?  Il courait à ma hauteur en de longues foulées malgracieuses mais régulières, sans avoir l'air plus fatigué que moi. Au moins il se taisait. J'entendais le rugissement de son sang, et le mien. C'était presque sympa. Et puis comme s'il n'était pas en train de galoper à une vitesse ahurissante, il me demanda : "Aufaitcommenttutappelles" ? 

Oui, une rumeur affirmait que les anderons étaient gonflés d'orgueil au point de se donner une désignation spécifique décorative. Qu'avait-il dit tout à l'heure ? "Araqis parle".
Je ne dis rien pendant un moment, en espérant que le vent lisserait en ordre mes pensées. Je n'avais pas de "tapel". Nous n'en avons pas besoin. ll nous suffit de nous regarder et d'émettre sur la bonne fréquence. Si ça se trouvait, ils n'avaient pas d'autre choix que de claironner pour attirer l'attention du bon individu. Je ne savais pas s'ils étaient quasi sourds de naissance, ou s'ils le devenaient à force. Je répondis :
"le peuple de mes vivants n'a pas de tapel". 

Il émit un gloussement incongru, avec sur sa face, un air supérieur fugitif qui laissait penser que ça ne le surprenait pas. Je ne me formalisai pas. L'arrogante stupidité des putois était notoire dans tout le règne. J'ajoutai perfidement : "Avant, tu as dit un son et pensé "stupide". Est-ce le tapel du vivant-moi ?" 
Il me regarda en biais et puis son visage s'éclaira et se plissa. Il haletait pendant sa course et s'arrêta brièvement pour taper sur ses pattes courtaudes. "Vrai, je t'ai appelé "abruti" mais on peut te trouver un meilleur nom, mon ami !". Il sembla réfléchir sur beaucoup de fréquences en même temps. C'était désagréable. Mais j'étais extrêmement plus préoccupé par la pensée qu'il venait d'avoir. Une pensée qui impliquait quelque chose dont je ne voulais pour rien au monde : rester davantage à côté de lui...  

L'enclos n'était plus très loin, sa rumeur retentissait déjà ; même lui en prenait conscience. "Je pense que je vais t'appeler Nessaeos. Qu'en dis-tu ?".
Typique et si ronflant : 
"Je pense que...". Si on les appelle putois, c'est aussi parce que ce sont des "putoï " : ceux qui pensent. C'est ironique évidemment. 
Je haussai les épaules. Les divagations verbales d'un jeune anderon impudent qui osait se qualifier de "long compagnon", après m'avoir gâché toute une course aubade, n'avaient rien pour m'intéresser. Je dis seulement : "Ton enclos est devant là-bas"
Une expression de crétinerie inénarrable se peignit sur ses traits efféminés. Il regarda l'attroupement des anderons, roula des orbites, toucha sa tête et refit cet irritant jappement.  "Non mais ne me dis pas que tu as cru que c'était chez moi ? J'habite pas du tout là !". Je restai indécis, craignant de comprendre. Il ajouta avec condescendance en détachant les sons : "Ici-pas-ma-ca-verne".  Je hennis furieusement car ça commençait à monter, et je partis à bride abattue. 

En arrière, j'entendais : "Nessaeos, mais où vas-tu ?". 
Nessaeos. Je ne savais même pas ce que ça voulait dire. Probablement "l'abruti à la drôle de dégaine"...

Je suis Nessos le malchanceux, Nessos le maudit. Et j'ai souffert mille morts et mille vies de l'infect venin de l'hydre noire, inoculé par la main rose du glabre Araqis.  Mon ami.  >> 

Anna L.  
à Paris, le 6 mars 2012 

A lire aussi pour resituer le contexte : 
La lyre du Québec : La vengeance de Nessus
Mediterranées.net : Le mythe des centaures 

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